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Sur la nature des composants de type capacité
Mathieu Jolly
Auteur
Jusqu'à récemment, j'ignorais comment cartographier les composants de nature « donnée » dans une chaîne de valeur. Je ne comprenais pas ce que voulait dire « être un composant donnée » dans une carte de Wardley. Depuis, j'ai passé un cap. Je vous raconte.
Nature du composant
L'histoire démarre quand j'essaye de comprendre la nature des composants de type « capacité » que je mets dans la chaîne de valeur. D'après la théorie, il ne peut y avoir que quatre natures de type de composant dans une chaîne de valeur de Wardley :
- Donnée
- Pratique
- Connaissance
- Activité
Pourtant, au regard des cartes que je produisais, la nature des composants ne me sautait pas aux yeux. Dans l'exemple de carte ci-dessous, que j'utilisais pour illustrer mes premiers cours, il est difficile de distinguer la nature des composants.
Pourtant, distinguer la nature du composant est fondamentale pour plusieurs raisons :
- La lisibilité de la carte. Si la nature du composant peut être multiple, qu'est-ce qui vous assure que votre interlocuteur ou interlocutrice ne l'interprète pas d'une autre manière ? Aujourd’hui seul votre discours l’en empèche !
- La construction de la carte. Correctement positionner le composant dans l'évolution nécessite d'avoir une idée claire de la nature des choses qu'il représente.
- L'anticipation du futur. Les cartes de Wardley ont un pouvoir d'anticipation qui se limite à l'évolution des pratiques, des activités, des données et des connaissances. Par exemple, intégrer un produit comme un terminal de paiement électronique (TPE) de la marque Ingenico pour anticiper son futur sort du périmètre de validité du modèle de l'évolution.
- La conception d'une solution adaptée. Vous ne construirez pas la solution adaptée si vous faites déjà le choix des solutions dans la carte. Décrire les choses par leur nature permet de prendre du recul sur les solutions possibles sans décrire une forme prédéfinie.
Dans la suite de cet article, je vous explique en détail la problématique, puis je vous présente la solution que j'utilise pour distinguer la nature des composants. Et enfin, je nuance mes propos.
Problématique
Dans ma pratique, les itérations sur une carte s’enchaînent jusqu'à avoir le sentiment de saisir la réalité. Elles s’enchaînent jusqu’au moment fatidique où je me pose cette question :
“L’électricité” est une donnée, une activité, une pratique ou une connaissance ?
Jusqu'à très récemment, j'avais mis de côté cette question. Pourtant, pour m'approcher encore un peu plus de la réalité utile et améliorer la lisibilité de mes cartes, la question s'est vite reposée. Cette fois-ci, j'y réponds.
Alors, l'électricité n'est-elle pas tout à la fois ? 🤷
- L'électricité est une donnée quand elle représente une quantité de kWh.
- L'électricité est une pratique quand elle représente une manière de transmettre l'énergie.
- L'électricité est une activité quand elle transmet de l'énergie.
- L'électricité est une connaissance quand on parle de sa définition universellement acceptée.
Sur la carte précédente, quelle est la nature du composant « électricité » ?
Si déterminer la nature du composant nécessite de regarder qui le consomme et de procéder par élimination, à chaque fois, la lecture de la carte devient plus compliquée et fatigante, donc sujette à plus de fausses interprétations. Regardons quelles solutions peuvent mettre en évidence la nature des composants de type capacité.
Solutions
1. Conventions
Les conventions sont très répandues dans les langages pour distinguer la nature des informations. Les conventions de nommage différencient la nature des choses en fonction des mots choisis, tandis que les conventions typographiques distinguent la nature des choses par la mise en forme de l’écriture. Ces deux conventions peuvent nous aider.
Convention typographique
De nombreux exemples de conventions typographiques sont connus. En français, par exemple, les noms propres s'écrivent avec une majuscule à la première lettre du mot. En informatique, la convention camelCase est utilisée dans le langage JavaScript pour représenter des fonctions, tandis que la convention snake_case est utilisée pour nommer les variables dans le langage Python, notamment. La figure suivante illustre la convention camelCase utilisée en JavaScript.
La figure ci-dessous illustre une fonction qui utilise la convention snake_case répandue parmi les utilisatrices et les utilisateurs du langage Python.
En informatique, ces deux conventions typographiques existent car l'utilisation du caractère « espace » n'est pas pratique. Elles le remplacent pour assurer la lisibilité des noms de fonctions ou de variables. Cette adaptation aux contraintes de l'outil illustre l'intérêt d'une convention typographique.
Convention de nommage
Les conventions de nommage sont des règles établies pour nommer les éléments d'un système de manière cohérente et significative. Dans le domaine de la programmation, par exemple, on peut utiliser des préfixes pour indiquer le type de variable (comme "str" pour une chaîne de caractères ou "int" pour un entier). Ces conventions facilitent la lecture du code et permettent de comprendre rapidement la nature et la fonction des éléments.
Les conventions de nommage sont omniprésentes. Mais, elles ne sont pas toujours connues du grand public. Elles illustrent comment des règles de nommage peuvent transmettre efficacement des informations supplémentaires au-delà du simple nom.
- Codes postaux : En France, les deux premiers chiffres indiquent le département, facilitant le tri et l'acheminement du courrier.
- Plaques d'immatriculation : Dans de nombreux pays, elles suivent un format spécifique qui peut indiquer la région d'origine ou l'année d'immatriculation du véhicule.
- Codes des aéroports : Le système IATA utilise des codes à trois lettres pour identifier les aéroports, souvent liés au nom de la ville (ex : CDG pour Charles de Gaulle à Paris).
- Noms de fichiers informatiques : L'extension (comme .docx, .pdf, .jpg) indique le type de fichier et son application associée.
Une convention pour les cartes de Wardley
Les deux types de conventions issues de langages plus communs peuvent aussi être utilisés pour le framework des cartes de Wardley qui est, lui aussi, un langage commun. La convention que j'ai retenue pour la nature des nœuds est une convention de nommage, la voici :
- Activités : le nom du composant démarre par un verbe à l'infinitif
- Pratiques : le nom du composant porte le nom de la méthode
- Connaissances : le nom du composant démarre par "savoir", "savoir-faire" ou "savoir-être"
- Données : Le nom du composant est quantifiable ou démarre par un quantificateur.
Voici quelques autres exemples concrets de conventions de nommage appliquées aux cartes de Wardley :
- Pour les activités : « Transmettre l'énergie », « Gérer les stocks », « Analyser les données », « Développer le produit »
- Pour les pratiques : « Électrification », « Méthode Agile », « Lean Manufacturing », « Design Thinking », « Permaculture »
- Pour les connaissances : « Savoir-faire de transmission d'énergie », « Savoir-faire en permaculture », « Connaissance autour de la relativité restreinte », « Expertise en intelligence artificielle »
- Pour les données : « Nombre de kWh », « Nombre de clients », « Volume de ventes », « Taux de satisfaction », « Stock disponible »
Depuis que je l'utilise, revenir sur des cartes mises de côté est bien plus aisé. Elles se lisent bien mieux. Positionner les composants dans l'évolution devient plus simple. Je sais exactement ce que décrit le composant.
Une analyse a posteriori de cette pratique montre que mes cartes sont remplies de composants « données ». Je n'en aurais pas dit autant, car dans la communauté, on entend plus souvent parler d'activité. Personne n'utilise la nomenclature de phase des données. Je dirais même que les capacités les plus présentes sont les activités et les données dans mes études.
Selon cette convention, que devient « la bouilloire » dans le mythique exemple du salon de thé ? Dans la figure ci-dessous, la première carte est retravaillée selon la convention pour faciliter sa lisibilité et entrer dans le cadre de Wardley.
Les transformations opérées dans cette nouvelle version de la carte par rapport à la première sont les suivantes :
- Thé, tasse, et eau sont des données et n'ont pas bougé. Ils sont quantifiables.
- La « tasse de thé » est ici considérée comme une donnée quantifiable. Dans un autre contexte que celui de l'objectif de viser une eau à 80 °C, ce composant aurait pu être traduit en activité.
- « Eau à 80 °C » est devenu « Savoir-faire de l'eau à 80 °C » (pratique).
- « Bouilloire » est devenu « Chauffer l'eau » (activité).
- « Minuteur » est devenu « Minuter » (activité).
- « Thermomètre » est devenu « Mesurer la température » (activité).
- Les composants à l'intérieur des pipelines ont intégré les termes « Minuteur » et « Thermomètre » qui décrivent la forme de deux solutions possibles : analogique et numérique (solutions).
- « Micro-contrôleur numérique » est devenu « Contrôler numériquement les instruments » (activité).
- « Électricité » est devenu « Transmettre l'énergie » (activité).
- « Pétrole » est devenu « Fournir de la matière » (activité).
Ces changements permettent une meilleure compréhension de la nature des composants et de leurs interactions, rendant la carte plus conforme aux principes des cartes de Wardley tout en améliorant sa lisibilité.
Cependant, les conventions de langage, qu'elles soient typographiques ou de nommage, deviennent puissantes au moment où leur usage est largement répandu dans la communauté. C'est pourquoi, dans la situation actuelle où les cartes de Wardley sont encore peu connues, il convient d'ajouter une légende pour correctement communiquer la convention utilisée dans votre carte de Wardley.
2. Légende
Outre l'écriture du langage et ses conventions de typage ou de nommage, s'inspirer d'une autre branche de la représentation visuelle, celle de la cartographie, semble être une option à ne pas écarter. Explorons-la.
Cartographie des espaces, une pratique répandue
Dans les pratiques les plus avancées de cartographie, nous retrouvons, notamment, les cartes géographiques et les cartes topographiques. Ces deux pratiques, qui représentent respectivement les variations horizontales et altimétriques des paysages, sont toujours légendées. La figure ci-dessous expose les différentes évolutions de la cartographie des espaces.
De cette carte, nous pouvons observer deux choses :
- D’après mon analyse, les cartes de Wardley comme les cartes géographiques et topographiques sont des manières de pratiquer la cartographie des espaces ; dans le cadre des cartes de Wardley, c’est la cartographie des espaces économiques.
- D’après mes hypothèses, les pratiques de la cartographie géographique et topographique sont aujourd’hui totalement répandues, stabilisées et communément comprises en termes d’usage alors que la cartographie de Wardley est encore un concept mal compris, inconnu et peu utilisé.
À partir de ces observations, je fais l’hypothèse que m’inspirer des meilleures pratiques de construction des cartes topographiques et géographiques pourrait faire évoluer la cartographie de Wardley, parce que précisant une meilleure définition des choses. La légende étant une des meilleures pratiques, légender les cartes de Wardley améliorerait la lisibilité de celles-ci.
Légender ses cartes de Wardley
La pratique actuelle expose déjà du contexte. Nous indiquons du contexte en nommant l'axe qui indique la profondeur de la chaîne de valeur, le titre et l'axe de l'évolution. Ces trois composants sont facilement identifiables par les néophytes, car ils font appel à des représentations communes.
Pour autant, d'autres composants plus classiques, mais inconnus du grand public, sont moins reconnaissables et devraient ainsi être légendés. La figure suivante met en avant la légende (jaune) des composants de type repère, besoin, capacité, pipeline et périmètre dans la chaîne de valeur des logiciels de reporting extra-financier. Notez qu'une convention typographique est choisie pour différencier les pipelines des périmètres.
Outre le type de composants classiques, il serait aussi possible de légender la nature des composants comme le montre la figure suivante.
Malheureusement, les logiciels limitent ce genre de pratiques. Onlinewardleymaps.com et mapkeep.com, les deux logiciels spécialisés ne permettent pas la personnalisation des couleurs des composants au-delà du rouge qui est réservé à l’anticipation dans les cartes de Wardley. C’est une raison qui m'incite à utiliser les conventions de typographie ou de nommage pour mes cartes.
Conclusion
En conclusion, la clarification de la nature des composants dans les cartes de Wardley est essentielle pour améliorer leur lisibilité et leur efficacité. L'adoption de conventions de nommage et l'utilisation de légendes constituent des pratiques prometteuses pour rendre ces cartes plus accessibles et compréhensibles.
En s'inspirant des meilleures pratiques de la cartographie traditionnelle, nous pouvons enrichir et standardiser la représentation des cartes de Wardley. Cette approche permet non seulement de faciliter la communication entre les utilisateurs expérimentés, mais aussi d'initier plus aisément les néophytes à cet outil puissant.
Bien que certaines limitations techniques persistent dans les outils actuels, l'évolution constante des logiciels dédiés laisse entrevoir de nouvelles possibilités pour personnaliser et optimiser nos cartes. En attendant, l'utilisation judicieuse des conventions de typographies et de nommage offre une solution pratique et efficace.
En fin de compte, retenons que l'amélioration de la lisibilité et de la compréhension des cartes de Wardley contribue à leur adoption plus large, renforçant ainsi leur utilité.
Ouverture
Nous avons examiné la nature des composants représentés par un nœud, mais qu'en est-il des pipelines ? La version 2024 de Mapkeep élargit les possibilités pour certains composants. Désormais, les pipelines peuvent être utilisés bien au-delà de leur fonction initiale. L'article suivant explore ces nouveaux usages potentiels. [en cours d’écriture]